Du spectateur au spectateur ou l’art de déballer son pique-nique (1971)

Ce texte a été écrit spécialement pour les amateurs éclairés de l’art moderne. Sa lecture, qui ne doit amener qu’une légère irritation aux spécialistes, risque par contre de provoquer un ennui mortel chez les non-spécialistes.

Il me faut maintenant préciser ma position qui est particulièrement subjective. J’ai, pendant vingt ans environ, produit avec beaucoup d’obstination des œuvres systématiques dont la ligne de conduite constante a été de réduire au minimum mes décisions arbitraires. Pour limiter ma sensibilité d’« Artiste » j’ai supprimé la composition, enlevé tout intérêt à l’exécution et appliqué rigoureusement des systèmes simples et évidents qui peuvent se développer soit grâce au hasard réel, soit grâce à la participation du spectateur.

Ces « œuvres d’art », en réaction contre le déferlement des messages de l’expressionnisme et de l’abstraction lyrique d’il y a 20 ans, n’ont eu aucun succès quand elles ont été exposées dans les différents lieux spécialisés. Elles n’ont suscité aucun commentaire.

Depuis peu de temps, et bien qu’elles ne soient pourtant pas à classer dans les nouveaux courants à la mode qui, plus que jamais, cultivent le mythe de l’« Artiste » (après ses gestes, c’est maintenant ses attitudes, son corps, ses concepts qu’il faut analyser et adorer), elles donnent lieu à des commentaires de plus en plus copieux et favorables. Les spécialistes de l’analyse y découvrent de la rigueur, de la joie, du nihilisme, de l’angoisse, de la virtuosité, de l’ascétisme, etc. Cela leur rappelle les constellations planétaires, la pluie sur les flaques d’eau, la Petite Madeleine de Proust, etc.

Bien sûr, je suis ravi de ce succès et espère que ce n’est qu’un commencement. Cependant, si je suis émerveillé par tout ce que l’on fait dire à des travaux spécialement faits pour ne rien dire, je voudrais quand même comprendre un peu mieux ce qui m’est arrivé. J’ai donc essayé tout naïvement de savoir un peu mieux ce qu’est l’Art Moderne ou plutôt ce qu’est l’amateur d’Art Moderne.

Dans nos pays occidentaux, depuis un siècle, les arts plastiques se sont dégagés progressivement de leur côté utilitaire de représentation, de documentation, aidés, bien entendu, par l’invention de la photographie. Parallèlement est apparue cette notion de l’Art pour l’Art. Enfin, était né le vrai ART, l’Art pur qui ne servait à rien. Tout aurait été plus simple si, ne servant à rien, il n’avait également rien voulu dire comme certains non-amateurs d’art moderne le croient encore.

Il faut, avant d’aller plus loin, faire un sort à cette conception d’un art universel, immédiatement accessible aussi bien aux Indiens d’Amazonie qu’aux collectionneurs de New York. Je sais que c’est le rêve de beaucoup d’artistes de toucher directement un public sans culture. Cela a été aussi le mien. Mais soyons objectifs. Quel est l`artiste moderne qui a eu un succès auprès du public non informé sans passer par les spécialistes, promoteurs, commentateurs ? Toutes les formes d’art vraiment nouvelles n’ont provoqué qu’hostilité ou indifférence quand elles avaient la chance d’être présentées à ce public vierge idéal. La « sortie dans la rue », que nous avons faite avec le Groupe de Recherche d’Art Visuel, n’a enthousiasmé (en dehors de nous) que deux critiques et un directeur de musée convoqués à cet effet.

La réalité est tout autre. L’Art pour l’Art n’a pas supprimé, bien au contraire, les commentaires et les analyses. Un nombre croissant de critiques (d’abord) et d’historiens (maintenant) d’art ont depuis cinquante ans trouvé un sens, ou plutôt des sens, à l’art et aux œuvres d’art modernes. Les revues et livres spécialisés abondent dans tous les pays occidentaux. La place laissée au texte y est très importante (voir ces derniers temps les délires de poésie philosophique provoqués par les symboles ésotériques des conceptuels et apparentés). Cela est normal, dira-t-on, puisque les artistes ne sont pas forcément doués pour commenter et expliquer eux-mêmes leurs œuvres. Et puis, diront même certains, s’ils étaient capables de formuler le sens exact de leurs œuvres, à quoi serviraient ces œuvres ? Les artistes, un peu comme les sourds-muets, s’exprimeraient par un langage visuel parallèle. Jusqu’ici, le raisonnement a une certaine logique.

Mais les artistes ne sont pas tous muets et certains ont laissé des commentaires, des justifications sur leurs œuvres qui coïncident bien rarement avec les textes explicatifs des critiques et autres consommateurs d’art. Bien plus, les opinions sur le sens d’une œuvre changent diamétralement d’un commentateur à l’autre, d’une époque à l‘autre.

Doit-on voir dans Ingres l‘illustrateur de la bourgeoisie réaliste et puritaine du XIXe siècle ou le père des déformations de l’expressionnisme ? Georges de La Tour est-il un second Caravage comme il rêvait de l’être ou un autre Vermeer comme on le considère aujourd’hui ? Les impressionnistes étaient-ils des réalistes scientifiques comme ils le croyaient ou les précurseurs de l’abstraction informelle ? Qui a raison ? Essayons tout d’abord de savoir si c’est l’artiste ou les commentateurs.

D’abord, qu’est-ce qu’une Œuvre d’Art ? C’est évidemment, pour un spectateur donné, ce que ce spectateur considère comme tel. L’auteur peut décréter ou non que son travail est de l’art ou même un Chef-d’œuvre, c’est seulement le public qui, en acceptant ou non ce travail, lui donnera sa nature. Il va de soi qu’un produit quelconque, un champignon par exemple, ne peut être qualifié de comestible que par la personne qui l’a mangé ou qui fait confiance à quelqu’un qui l’a mangé. Chacun a sa liste de chefs-d’œuvre et de génies assez limitée bien que des millions d’artistes aient été persuadés qu’ils avaient fait des chefs-d’œuvre et étaient des génies. Si le spectateur est donc seul juge pour discerner l’art du non-art, le chef-d’œuvre de la croûte, il doit être aussi habilité pour trouver le vrai sens de ces œuvres.

Le sens de ces œuvres, le commentateur le trouvera sans tenir compte de ce que l’auteur a pu dire ou écrire, et souvent en opposition avec l’interprétation d’autres commentateurs. Depuis Freud, on dira même que certaines analyses faites de l’extérieur découvrent mieux le moi profond du créateur que les explications conscientes de celui-ci. Et voilà l’amateur éclairé fouillant dans l’inconscient de l’artiste pour en tirer un « message » bien à lui (l’amateur).

Voici, parmi des milliers, une phrase typique à propos d’Yves Klein parue dans Opus : « Il convient toutefois d’écarter, outre les naïvetés romantiques dont il s’encombrait lui-même, les falsifications plus ou moins volontaires que le sens fondamental de ses recherches a subies depuis sa mort prématurée… » Donc Yves Klein n’était pas ce qu’il croyait être ni ce que les autres croient maintenant qu’il était, il est ce que l’auteur de l’article veut qu’il soit. Et le critique a raison.

Les arts plastiques doivent permettre au spectateur de trouver ce qu’il veut, c’est-à-dire ce qu’il amène lui-même. Les œuvres d’art sont des coins à pique-nique, des auberges espagnoles où l’on consomme ce que l’on apporte soi-même. L’Art pur, l’Art pour l’Art, est fait pour ne rien dire (ou tout dire). Quand, de leur vivant, des artistes semblent en accord avec certains de leurs commentateurs, c’est la plupart du temps qu’ils ont accepté, ravis, le sens qu’on a donné à leur travail. Bien plus, ils cherchent alors à ressembler à l’image qu’on a donnée d’eux.

Il a fallu beaucoup d’efforts aux critiques éclairés pour faire comprendre à César que sa première compression n’était pas une plaisanterie, comme il le croyait, mais un chef-d’œuvre plus sérieux que ses vraies sculptures. De toute façon, lorsqu’il existe, cet accord ne dure pas, et 50 ans plus tard le sens des œuvres est complètement changé ou contesté.

On peut me dire que je ne parle que d’une forme d’art moderne et qu’il existe d’autres formes qui, elles, sont chargées d’un sens précis, l’art politique par exemple. Il est vrai que la peinture politique est encore bien gaillarde à notre époque. Elle, elle semble avoir un contenu conçu consciemment et transmissible. Le spectateur, en la voyant, doit être porté, soit à se révolter, soit à adhérer à un parti, soit à admirer ou mépriser une situation ou un homme, etc. Je ne parlerai pas de la qualité (je ne sais pas ce que c’est) du réalisme socialiste qui a été le grand problème de beaucoup d’artistes de gauche de ma génération. Je ne voudrais qu’essayer de juger de l’efficacité de cet art qui n’admet comme justification que son pouvoir de propagande.

Deux grands maîtres de l’art politique, dont j’ai pu voir les œuvres et leur impact sur le public de l’époque, ont été Arno Breker et Fougeron. L’un pour le nazisme pendant la guerre, l’autre pour le communisme après. Je n’ai malheureusement pas eu les moyens nécessaires pour faire une enquête dans les milieux nazis ou communistes afin de trouver le militant qui aurait été convaincu et amené à adhérer à son parti par la contemplation des œuvres de l’un de ces deux artistes. Je pense seulement qu’il n’existe pas ! comme il me semble douteux qu’aujourd’hui les œuvres de Rancillac ou du groupe Support-Surface soient un bon support pour la pensée de Mao Tsé-Toung.

Les partis politiques n’ont d’ailleurs que faire d’œuvres d’art qui peuvent être interprétées de mille façons différentes et qui risquent de se retourner contre eux. Même si les artistes obéissants se rapprochent de la facture photographique, les propagandistes ont raison de préférer films et photographies qui, par leur vérité de documents (truqués ou non), feront se révolter bien plus efficacement le public choisi. A condition, bien entendu, que les cinéastes et photographes ne soient pas des artistes, car, alors, ils créeront eux aussi des œuvres artistiques, c’est-à-dire sujettes à interprétations contradictoires (voir les films de Buñuel, Pasolini, Godard, etc.).

Un numéro complet de Robho (n° 5-6) a d’ailleurs tenté d’analyser logiquement l’art révolutionnaire politique. La conclusion, après une lecture que je crois attentive, est que le seul art révolutionnaire aujourd’hui c’est le reportage politique, tel que sur une grève en Argentine (Tucuman brûle) ou sur les conditions de logement d’une partie des New-Yorkais (Hans Haacke).

La révolution n’a pas besoin d’artistes comme on pouvait le lire sur l’œuvre d’un artiste professionnel sud-américain exposant et vivant à Paris. Cette conception développée dans Robho peut se défendre. Mais pourquoi donc les critiques d’art engagés dans cette voie politique ne donnent-ils pas l’exemple les premiers ? Ils auraient beaucoup moins de mal que les artistes à se reconvertir au journalisme politique. Jdanov et Goebbels avaient déjà des idées dans ce genre, mais ils n’étaient peut-être pas allés aussi loin.

Si je pense que tout l’art moderne est de l’art pour amateur d’art, c’est-à-dire de l’art pour y mettre de l’art, de l’art fourre-tout, de l’art où le spectateur fourre tout (et non, comme Ben l’emploie, où l’artiste fourre tout), je ne pense pas pour autant que l’art fourre-tout n’existait pas avant l’époque actuelle. L’art religieux par exemple devait également permettre au croyant de trouver dans l’œuvre tout ce qu’il y amenait. Et, de nos jours, dans certaines régions encore très croyantes, cela marche encore puisque des spectateurs vont jusqu’à voir pleurer ou sourire la figure impassible d’une sculpture.

Donc, voilà l’art moderne, se libérant d’un côté grâce à la photographie, de son rôle documentaire et politique, d’un autre côté grâce à l’affaiblissement des religions, de sa fonction sacrée. Mais que doit être cet art fourre-tout pour bien remplir sa fonction ? Il doit être rien ou plus exactement presque rien. Malevitch, Duchamp, Mondrian, Yves Klein ou aujourd’hui Beuys, Carl Andre, Kosuth, de Andrea, etc., sont des exemples, entre autres, de l’art fourretout. Ils ont créé des œuvres qui ont enthousiasmé (petit à petit) les critiques et qui ont suscité et susciteront des tonnes de commentaires. Et ils ont bien mérité leur succès puisqu’ils ont su offrir aux amateurs éclairés ce presque rien qui appelle le remplissage. Pour moi, tout le problème de l’art moderne se trouve là, dans ces causes qui poussent certains individus à répandre tout leur génie poétique et philosophique d’amateur d’art dans le Carré noir de Malevitch, d’autres dans le rectangle bleu de Klein, ou dans la page de dictionnaire de Kosuth (bien que Kosuth ne le veuille pas).

Essayons d’analyser le processus d’accession au succès d’une œuvre d’art moderne.

La première condition, est, bien entendu, que l’amateur d’art voie, remarque l’œuvre. L’attention est d’abord attirée par l’aspect inhabituel de l’objet proposé. Mais cette originalité apparente doit obligatoirement être vue dans un contexte artistique.

Il faut un décorum, un signe traditionnel qui montrent l’appartenance de l’objet à sa catégorie « art ». Ce peut être le lieu (galerie, musée), la matière (toile, pierre, photographie), la présentation (mur, socle, brochure), la désignation (peinture, sculpture, art, anti-art). En gardant comme exemple le carré noir ou le rectangle bleu, on trouve à peu près toutes les conditions de décorum classique : ces œuvres étaient peintes avec des couleurs d`artistes sur de la toile, exposées sur le mur dans une galerie, et l’auteur avait bien précisé qu’il considérait son œuvre comme de l’art. L’aspect inhabituel existait évidemment puisqu’un carré noir ou un rectangle bleu isolés n’avaient pas été auparavant proposés à la consommation artistique.

Si le spectateur de l’époque a refusé de déballer son monde poético-philosophique, c’est qu’il y manquait « le sérieux ». On ne pique-nique pas n’importe où. « Le sérieux » doit absolument cautionner le chef-d’œuvre (y compris la pissotière de Duchamp ou les merdes de Manzoni).

Il peut y être amené par plusieurs causes, par exemple :

La profession de foi de personnalités sérieuses. Il est évident que les prises de position de Louis XIV ou de Malraux sont convaincantes pour beaucoup.

La mort de l’artiste. Ce n’est pas suffisant, mais bien utile.

Une très grande production répétitive. L’amateur d’art est toujours plus facilement convaincu de la sincérité du « message » d’un artiste si celui-ci pendant des années répète le même presque rien. Si cette répétition a lieu sans aucun succès artistique, c’est encore un attrait supplémentaire, cela prouve que l’artiste était poussé par une nécessité intérieure que l’amateur d’art croit reconnaître dans les projections de son propre génie d’amateur d’art.

Une très grande ancienneté. A la limite, elle peut, à elle seule, donner suffisamment confiance.

Si cette théorie est exacte – et elle l’est, quoi que vous en pensiez ! – n’importe quel presque rien qui n’a jamais été auparavant exposé comme œuvre d’art, s’il est présenté dans un contexte artistique avec le décorum suffisant, deviendra immanquablement un jour un fourre-tout pour amateur d’art, c’est-à-dire un chef-d’œuvre. J’affirme donc que toute œuvre nouvelle de presque rien, dans les 100 dernières années, a été déclarée, par une majorité d’amateurs d’art, chef-d’œuvre dans les 20 ans qui ont suivi au plus tard.

On me dira : vous escamotez le problème en disant « œuvre nouvelle ». C’est dans cette nouveauté que se trouve le génie de l’artiste. C’est cette nouveauté que l’amateur d’art découvre et comprend.

Donc, qu’est-ce que c’est que ce « nouveau » qui distingue le chef-d’œuvre d’art moderne des croûtes ? C’est seulement du nouveau pour l’art. C’est une forme (un carré ou une tache), un objet (un porte-bouteilles ou une page de dictionnaire), une attitude (repeindre la galerie ou s’exposer soi-même), un geste (couper une toile ou une montagne), etc., pris dans d’autres domaines que celui artistique (ou même maintenant dans des domaines artistiques voisins, comme le théâtre pour le body-art ou la poésie pour l’art conceptuel) et auquel on ajoute le décorum. 

Il faut bien sûr que ce qui a été transplanté perde sa signification d’origine pour que le spectateur puisse lui en donner une nouvelle ; la sienne bien entendu ! La prétention donc des artistes modernes soit à transmettre des messages, soit à endosser la paternité des délires provoqués par leurs œuvres, est injustifiée et irritante. De plus, elle brouille les cartes et empêche de comprendre et d’étudier le comportement et les motivations des spectateurs.

La plupart des études sur l’art (même scientifiques), en effet, analysent d’abord et presque uniquement les créateurs (suprême raffinement, certaines œuvres, maintenant, sont seulement une analyse de l’acte créateur).

Au lycée, j’ai appris l’histoire de cette façon. De portrait de roi en portrait d’empereur, en passant par les portraits de révolutionnaires.

Toute cette mystification montée avec la complicité des « grands hommes » pour faire croire aux petits hommes que si Pasteur, Karl Marx, De Gaulle, Cézanne étaient morts en couches, personne n’aurait pu être sauvé de la rage, du capitalisme, du nazisme ou de l’impressionnisme. Bien sûr, le culte de la personnalité est naturel. C’est naturellement qu’on a adoré Jésus-Christ, Hitler ou Elvis Presley. Ce sont eux, les adorés, qui commettent la faute de se faire ou laisser adorer.

C’est quand un homme politique, un scientifique, un artiste, etc., laisse croire que ce qu’il est ou ce qu’il fait est d’une nature différente de ce qu’est ou de ce que fait le « vulgaire » que la mystification apparaît. C’est, pour moi, la plus grande faute contre le progrès et l’intelligence, c’est toujours un retour en arrière (vers les pires arrières). Je considère donc comme des réactionnaires redoutables les artistes qui, volontairement ou non, cultivent l’arbitraire, laissent croire à l’existence de justifications secrètes, jouent aux despotes obscurcis, tout en se considérant comme des révolutionnaires de l’art.

Depuis Duchamp, tous les nombreux artistes révolutionnaires ont été aussi habiles à détruire l’art (des prédécesseurs) qu’à construire leur génial personnage.

Oui, la peinture à l’huile, le bronze, le plexiglas, l’objet, le geste, c’est fini, démystifié, démodé. Ce qu’il reste, c’est l’artiste prêtre-clown, toujours plus habile à trouver de nouveaux emplacements pour le pique-nique d’un petit cercle au milieu de l’indifférence générale. Si vos provisions sont à la mode, venez vite les déballer dans les terrains vagues des concepts et des attitudes. Ne craignez rien tant que vous resterez les humbles vassaux des grands génies, les places à pique-nique changeront, mais ne manqueront pas.

Cela pourrait être différent :

– soit si les artistes changeaient pour devenir (comme l’a tenté Filliou au Stedelijk Museum d’Amsterdam), les réveilleurs, les meneurs de jeu du grand public, ce public qui ne sait pas encore qu’il est artiste,

– soit si les spectateurs changeaient pour s’apercevoir comme dans le conte d’Andersen « les nouveaux vêtements de l’empereur », que ce sont eux-mêmes, les spectateurs, grâce à leur imagination géniale, qui habillent somptueusement les empereurs et les artistes.

Ce serait une belle fête. Mais, ça serait quand même bête qu’elle arrive juste au moment où les pique-niqueurs commencent à me trouver du génie.

Publié pour la première fois dans Morellet (cat.) Cholet, 1971, pp. 1-12