Une conversation entre Benjamin H. D. Buchloh, François Morellet, Danielle Morellet (1987)

Benjamin H. D. Buchloh Quelle a été votre formation artistique et que connaissiez-vous de l’histoire de l’art lorsque vous avez commencé à travailler ?

François Morellet Pour la parcourir très rapidement, dans les années 40, j’ai commencé par la peinture figurative, mais sans jamais avoir eu de professeur. C’était vraiment plus le plaisir d’être peintre. J’avais voulu en être un, peut-être parce que mon père avait un peu surestimé les peintres. Il n’aimait pas tellement la peinture, mais il aimait les peintres et aurait aimé en être un. Quand j’ai fait ma première toile, j’ai mis beaucoup de peinture sur mon short pour ressembler à un peintre ; cela semblait important. Je l’apprécie toujours, mais je me rends compte qu’à cette époque, je devais avoir une idée un peu romantique de la profession.

J’étais contre les musées parce que j’avais lu partout que les musées étaient des temples, qu’il fallait les brûler. Mais j’ai adoré le Musée de l’Homme et j’ai été très influencé par tout ce que j’y ai vu, notamment l’art océanien et les tapas imprimés de motifs abstraits. J’y ai passé beaucoup de temps. C’était à la fin des années 40. Je faisais pratiquement du faux-océanique, et je suis toujours heureux chaque fois que je vois ces tapas. Puis au début des années 50, j’ai dû aborder l’abstraction sous l’influence de l’École de Paris.

Buchloh Au début de votre carrière, avez-vous répondu aux avant-gardes, notamment aux constructivistes russes de 1915 à 1925 ? À la fin des années 40, Piet Mondrian ou Kazimir Malevich faisaient-ils partie de vos influences ?

F. Morellet Non, pas du tout. L’influence de Katarzyna Kobro, Alexander Rodchenko et le reste a été beaucoup plus tardive. A cette époque, j’ai été influencé en quelque sorte par Alfred Manessier, Maria Helena Vieira da Silva et Serge Charchoune, un peintre que j’aime toujours. Vers 1950, j’ai réalisé mes premières peintures abstraites. Il s’agissait de lignes plus ou moins horizontales et plus ou moins verticales, qui donnaient une sorte de damier, une construction à compléter au fur et à mesure, un peu à la manière de Paul Klee ou de certains artistes de l’Ecole de Paris. Puis je suis rapidement arrivé à quelque chose de beaucoup plus simple. En 1951, par exemple, j’ai réalisé un petit tableau dont la surface est divisée en deux par une diagonale, ne laissant apparaître qu’un côté blanc et un côté gris.

Buchloh La tradition plus locale de l’abstraction réductrice comme celle de Victor Vasarely ou d’Auguste Herbin a-t-elle été aussi une influence ?

F. Morellet A cette époque, Vasarely peignait d’une manière très École de Paris ; il est finalement arrivé à la réduction, au noir et blanc, vers la fin des années 1950. Quand je l’ai rencontré, il me semblait que j’étais allé plus loin que lui. À l’époque, il fabriquait de grandes formes colorées ; elles étaient jolies mais manquaient de système ou de construction.

Buchloh et Josef Albers ?

F. Morellet Non, mais il y a eu un très grand événement pour moi à l’époque. En 1950, nous voulions émigrer au Brésil parce que nous ne croyions plus en l’Europe. Quand nous y sommes arrivés en 1950 ou 1951, Max Bill venait de monter une grande exposition, et j’ai rencontré des artistes qui m’ont montré de mauvaises photos de journaux en noir et blanc de cette exposition.

Buchloh Il vous a fallu aller au Brésil pour découvrir Max Bill ? C’est un fantastique paradoxe.

F. Morellet C’est étrange, non ? Je faisais déjà un travail abstrait qui était assez simple, mais ce n’était pas encore justifié, Concret. Ces images de Bill ont été une révélation, et c’est ainsi que j’ai connu Albers. À l’époque, Bill créait la Hochschule für Gestaltung à Ulm, en Allemagne, et j’y ai rencontré pas mal d’artistes. L’artiste brésilien Almir Mavignier, qui était venu en France sans doute en 1951, juste après mon retour du Brésil, est allé étudier à Ulm. C’est lui qui m’y a emmené pour la première fois. À Paris, vers 1953-54, il m’a également présenté à Ellsworth Kelly, qui était en Europe à cette époque. Nous avons rencontré Bill à plusieurs reprises. Ce que j’aimais chez lui, c’était son côté conceptuel, concret, qui rejoignait le principe de Theo van Doesburg selon lequel une œuvre doit être conçue avant d’être exécutée ; une œuvre doit être justifiée.

Mes deux grandes influences ont été l’art concret, que j’ai découvert grâce à Bill, et l’art islamique, à travers les arabesques des motifs mauresques de l’Alhambra de Grenade, en Espagne. Si vous branchez les deux dans l’ordinateur, cela vous donnera probablement beaucoup de choses que j’ai faites dans les années 1950.

Nous avons consulté les carnets de Danielle pour voir si mes premières trames avaient été réalisés avant ou après la visite de l’Alhambra. J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’une influence directe, mais j’ai ensuite réalisé que j’avais déjà exécuté des trames de motifs uniformément répartis avant notre voyage de 1952. Mais peu importe, l’Alhambra a été une énorme révélation. L’art concret que j’avais découvert avec Bill avait ses aspects systématiques. Tout à coup, avec l’Alhambra, ce all-over m’a semblé étonnant, infini.

Buchloh Vous avez rencontré Kelly vers 1953. Avez-vous vu sa célèbre exposition en 1951 à la Galerie Arnaud ? Vous viviez à Paris à cette époque ?

F. Morellet Non, j’ai étudié à Paris mais je n’y vivais pas. J’ai rencontré Kelly et puis, bien sûr, j’ai vu certaines de ses expositions, comme celle de la Galerie Maeght par exemple.

Buchloh Aviez-vous une certaine amitié avec Kelly à l’époque ?

F. Morellet Oui. Finalement, il a vécu chez mes parents dans une petite pièce au-dessus de leur appartement. À Paris, il y avait un autre type merveilleux, qui faisait des peintures très minimalistes, Jack Youngerman. Et Alain Naudé. Nous étions tous amis.

Le travail de Bill a été un choc pour moi et je pense pour Kelly aussi. Il avait rendu visite à Bill à plusieurs reprises et m’en avait parlé, mais je ne pense pas que cela apparaisse dans la littérature sur Kelly.

Buchloh C’est toujours Jean Arp et Joan Mir., qui sont mentionnés.

F. Morellet Kelly ne m’a pas parlé d’Arp, sauf peut-être des choses qu’il a faites avec Sophie Taeuber-Arp en rapport avec le hasard.

Je ne rencontrais pas beaucoup de gens à cette époque. Nous allions à Paris certains week-ends ; nous dînions avec Kelly, Youngerman et Naudé. Mais je n’avais pas l’occasion, comme un certain nombre d’artistes, d’étudier à l’Ecole des beaux-arts, d’avoir du temps libre, de parler, de rencontrer d’autres artistes. Je n’ai jamais rendu visite à Arp. J’ai rendu visite à Georges Vantongerloo deux fois parce que Bill, qui a été très influencé par lui, m’a dit de le faire. Ce sont mes contacts, mais revenons au grand maître Mondrian. Serge Lemoine m’a dit que la première reproduction de son œuvre publiée en France l’a été dans un livre de Skira sorti trois ans après la mort de Mondrian. Il n’y avait pas un seul Malevitch et certainement pas un Rodchenko ou un Kobro. Je me souviens avoir ouvert ce livre et découvert cette reproduction de Mondrian. Cela devait être vers 1950. Ça m’a énervé. “Pourquoi être si agressif ?” Je me suis demandé. Mais je revenais toujours au livre. Il me fascinait et m’agaçait en même temps. Une fois l’agacement passé, et grâce à Bill, qui m’avait servi de tremplin, j’ai vécu une grande histoire d’amour avec Mondrian. En même temps, il y avait la fascination pour Marcel Duchamp, qui n’était pas très connu en France à cette époque.

J’étais ami avec Joël Stein, que j’ai rencontré à Paris et qui faisait partie du Groupe de Recherche d’Art Visuel (GRAV). C’était un type formidable, très littéraire. Il avait assisté à des réunions et avait été quelque peu impliqué dans le groupe surréaliste. C’est lui qui m’a présenté Duchamp. J’étais fasciné et excité par l’irritation que l’attitude de Duchamp pouvait déclencher. J’aimais le contraste, et tout en m’identifiant à Mondrian, j’ai continué à être fasciné par Duchamp.

Buchloh Qu’en est-il des artistes du groupe Abstraction-Création à Paris à cette époque ?

F. Morellet C’est drôle parce que dans les années 1950, il y avait beaucoup d’art géométrique, notamment au Salon des réalités nouvelles. Puis un certain nombre d’artistes, comme Youngerman et d’autres, ont changé leur pratique. Il y a eu une vitalité au début des années 1950 avant que certains artistes n’abandonnent faute de succès (le succès a plutôt honoré la peinture de l’Art Informel).

L’année 1952 est peut-être celle où j’ai réalisé le plus d’œuvres qui continuent à m’intéresser, la plupart d’entre elles ayant très peu, voire pas du tout, de composition. Des peintures uniformément réparties, s’inspirant quelque peu de l’esprit du monochrome, contenant des éléments tels que des rayures, des trames, des choses répétées, un peu comme 

la musique répétitive que j’ai rencontrée beaucoup plus tard. La musique sérielle m’avait toujours ennuyé (à l’époque, j’étais passionné de jazz). Elle ne m’a enthousiasmé que beaucoup plus tard, avec Steve Reich. J’étais un tel champion de la peinture uniformément répartie que lorsque j’ai vu les œuvres de Barnett Newman, par exemple, zéro ! Elles n’ont rien fait pour moi ! Pour moi, Newman était le summum de la composition, de l’arbitraire. En revanche, les Pollocks que j’avais vus à la galerie Paul Facchetti étaient beaucoup plus proches de ce qui m’intéressait.

Buchloh J’ai vu une de vos peintures de 1958 au troisième étage de votre maison qui m’a énormément frappé. Je n’avais jamais vu d’œuvres de cette période. Cela m’a intéressé parce que j’ai tout de suite pensé qu’il y avait un vrai dialogue avec l’œuvre de Jackson Pollock ou que cela pouvait même représenter une réponse à son œuvre.

F. Morellet Vasarely l’a très bien dit : Vous avez effectivement fait du Tachisme sans vous salir les doigts. C’était exactement cela.

Buchloh Était-ce une réponse à Pollock d’une certaine manière ?

F. Morellet Non. Peut-être. En 1952, j’étais amoureux de Mondrian (j’ai dû commencer à l’aimer en 1950). Mais pour moi, il n’est pas allé jusqu’au bout. Ce qui reste traditionnel chez Mondrian, c’est la composition.

Buchloh Au lieu de la composition, ce qui vous intéressait, c’était les principes, les séries, la répétition, un système objectif ?

F. Morellet Oui, et surtout le moins de décisions subjectives possible. Le tableau que j’aime le plus est de 1953, un carré blanc dans lequel trois lignes verticales et trois lignes horizontales forment seize carrés.

Buchloh C’est la trame parfaite.

Morellet La trame parfaite. Le bord du tableau remplaçant la ligne, il forme seize carrés. C’est satisfaisant parce que c’était aller contre Mondrian, plus loin que Mondrian, contre l’Ecole de Paris, contre tout ce qui se passait à cette époque.

Buchloh Que pensez-vous du célèbre argument de Frank Stella sur la peinture relationnelle, autrement dit la peinture de composition ? Il affirmait que toute la peinture européenne adhérait à la composition, avec un équilibre entre poids et contrepoids, comme dans le cas de Mondrian. Et Stella, dans sa célèbre interview de 1966, déclarait qu’il avait, avec ses peintures noires de 1959, rompu avec cette tradition de la peinture relationnelle.1 Évidemment, il faut un certain culot pour dire cela.

F. Morellet Oui. Pour moi, Stella est toujours un grand personnage, il a fait beaucoup de choses. C’était un bon ami de Kelly, qui avait d’ailleurs des reproductions de mon travail et qui voulait me présenter à Stella. Vers 1954, j’ai réalisé des peintures aux angles concentriques, un motif que Stella a rapidement privilégié. À quatre ou cinq ans d’intervalle, nos peintures se ressemblaient beaucoup.

Buchloh Quoi qu’il en soit, ce sont des questions auxquelles toute une génération d’artistes était confrontée, et inévitablement, certaines solutions et réponses peuvent être similaires.

F. Morellet Oui, bien sûr. Mais si vous avez eu le malheur de faire ce qu’un Américain avait déjà fait, vous allez en entendre parler ; mais quand cela se produit dans le sens inverse ! J’ai vécu la même chose avec Sol LeWitt…

Buchloh Oui, je voulais éviter ce sujet parce que c’est une vieille histoire.

F. Morellet Oui, c’est une vieille histoire, lancée par ma galerie en Allemagne, accompagnée d’une promotion un peu lourde. Mais aux Etats-Unis, cela m’a apporté plus de problèmes que d’avantages. En tout cas, ce qui est certain, c’est que lorsque vous avancez dans une trajectoire, il peut arriver que d’autres soient arrivés au même point. Cela m’est aussi arrivé dans l’autre sens, de faire des choses après d’autres, de m’en rendre compte et de revenir en arrière.

Lorsque Du jaune au violet (1956) a été exposé dans une foire par la Galerie M, le marchand de la galerie allemande de Stella l’a pris pour un Stella. La même situation m’est arrivée avec le LeWitt que j’ai vu dans Flash Art ; j’ai cru que c’était une de mes peintures.

Buchloh Pour en revenir aux principes de votre travail, dans quelle mesure Duchamp vous a-t-il influencé ? J’imagine que vous avez dû être intéressé par sa redéfinition de la distance ou de la ligne ?

F. Morellet C’est vrai, la distance, mais aussi l’espèce de mythe qui a commencé à prendre forme autour de Duchamp alors qu’il n’y avait pas encore beaucoup d’articles approfondis sur lui et peu de reproductions. Jan van der Marck a été le premier à écrire sur cette relation monstrueuse entre Mondrian et Van Doesburg d’une part, et Duchamp et Francis Picabia d’autre part.

Comme cela a commencé à être mentionné à l’époque et comme cela continue à l’être – et cela me fait vraiment plaisir – je pense que je n’ai jamais été vraiment sérieux. Quand j’ai fait mon arc de cercle brisé en 1954, c’était aussi pour choquer, pour me distancer de la géométrie et du constructivisme. Quand j’ai fait ces tableaux entièrement distribués avec des trames, des répétitions, c’était aussi un moyen de réagir contre le constructivisme et Mondrian. Lorsque j’ai fait des peintures aléatoires de distributions uniformes de 40 000 carrés ou de lignes aléatoires, c’était une parodie, une prise de position ironique.

Présenter une simple ligne brisée en quatre comme ça, c’était autant du Picabia et du Duchamp que du Mondrian. J’ai découvert Van Doesburg bien plus tard. J’aimais tellement Mondrian au début que j’ai pris parti contre Van Doesburg, et un jour, j’ai réalisé que je lui ressemblais, pas à Mondrian.

Buchloh Étiez-vous ami avec certains artistes issus du Nouveau Réalisme ?

F. Morellet Non, pas du tout. Je n’ai rencontré Daniel Spoerri que très tard et Arman, encore plus tard. Et Yves Klein, bien sûr. Les premières choses que j’ai vues… et son attitude, tout m’a quelque peu fasciné.

Buchloh Et Ad Reinhardt, par exemple, avez-vous vu son exposition à Paris à la Galerie Iris Clert ? C’était en 1954.

F. Morellet J’ai vu beaucoup de Reinhardt à cette époque – il était dans beaucoup d’expositions – mais je n’en ai pas fait grand cas.

Buchloh Vraiment ? Malgré son principe de non-composition ? Parce qu’il y a moins de composition dans son travail que dans celui de Newman.

F. Morellet Pas tant que ça. J’ai vu une délicatesse que j’ai trouvée jolie et moderne, mais….

Buchloh Mais dans son œuvre le principe de sérialité se voulait un principe qui tendait à abolir la composition.

F. Morellet Oui, bien sûr, complètement. Et Malevitch m’a toujours ennuyé par exemple, et encore aujourd’hui….

Buchloh Quand l’avez-vous finalement découvert ?

F. Morellet Je ne l’ai jamais découvert parce que découvrir, c’est apprécier. Mondrian, par exemple, m’a d’abord ennuyé, dans les années 1949-50 ; ensuite j’ai aimé son œuvre.

Après le départ de Youngerman, Naudé et Kelly, je me suis retrouvé tout seul. Vers 1959, un groupe d’artistes sud-américains est arrivé, et entre-temps, nous sommes entrés en contact avec des gens assez merveilleux, des hongrois du nom de Molnàr. Nous avons donc décidé de former un groupe avec certains de ces Sud-Américains, qui étaient entre-temps allés voir Vasarely. Le groupe a pris sa forme stable avec six personnes, trois Sud-Américains et trois Européens : Horacio García Rossi, Francisco Sobrino, Julio Le Parc, et Yvaral (le fils de Vasarely), Stein et moi. Nous avons tous pratiquement cessé de peindre au cours de ces années.

De 1960 à 1968, nous avons joué avec beaucoup de labyrinthes, notamment un grand pour la Biennale de Paris en 1963. Les gens entraient dans des ” pénétrables “, comme Jesús Rafael Soto les a appelés plus tard. Il y avait une salle entière avec 40 000 carrés aléatoires rouges et bleus sur les murs et le plafond. L’installation se terminait par une salle avec quatre panneaux de néons qui se faisaient écho les uns aux autres et entouraient les spectateurs.

Nous nous concentrions sur la participation du spectateur. En 1962, j’avais réalisé ma sphère ; en 1963, j’ai commencé à travailler avec des néons. Il y avait eu une sorte de parenthèse, où nous pensions que la peinture était terminée et qu’il était maintenant nécessaire de faire participer le spectateur, que c’était la société du futur.

Buchloh Il est vraiment intéressant de comprendre que votre position à la fin des années 1950 et au début des années 1960 était très spécifique, car elle était différente à la fois de la tradition cubiste dite géométrique ou abstraite et de la pratique des Nouveaux Réalistes, qui se référait à Duchamp. Votre position se référait à Duchamp et Mondrian de la même manière mais s’efforçait de s’éloigner des deux et à transformer tous ces paradigmes d’avant-garde, mais dans un espace qui semble aujourd’hui plutôt complexe et isolé.

F. Morellet Oui, on pourrait le résumer comme le fils monstrueux de deux héritages distincts. Finalement, j’ai en moi ce puritanisme constructiviste. Les artistes concrets, les constructivistes, les minimalistes, De Stijl, ce sont tous des moralistes, des puritains, des jansénistes en fait. J’ai ce côté coincé et j’aime cette rigueur, mais j’ai aussi un très fort penchant pour l’absurde et le dynamisme.

Buchloh En ce qui concerne ces deux postures – pour simplifier, une position duchampienne et une position réductiviste, utopique – quelqu’un comme Piero Manzoni vous a-t-il intéressé ? Parce qu’il a essayé de relier ces deux positions de la même manière.

F. Morellet Oui. Le premier tableau que j’ai vendu l’a été par une galerie appelée Azimut à Milan, fondée par Enrico Castellani et Manzoni. Ils m’ont invité à faire une exposition en 1960. Le groupe autour de la galerie n’était pas encore formé. Il y avait des peintures de Castellani, des monochromes de Klein et aussi de Lucio Fontana. Azimut a duré deux ans. Je crois qu’ils ont été les premiers à exposer Jasper Johns en Europe.

Manzoni est venu acheter une de mes peintures, une trame très chargée, un peu tachiste. Mais bien sûr, Manzoni ne m’a jamais envoyé l’argent. Finalement, plus tard, il nous a envoyé deux de ses “boîtes de merde”, qui valaient à peu près autant que le tableau en prix. 3

Buchloh Une autre question devrait être soulevée en ce qui concerne les artistes des années 1950 qui ont amené l’art au niveau du pur spectacle, par exemple Klein et d’autres issus du Nouveau Réalisme. Cette dimension de pur spectacle et de provocation est absente dans votre travail, qui est beaucoup plus équilibré.

F. Morellet Plus coincé. Vous connaissez le mot “coincé” ? Je crois que j’ai un faible pour les artistes qui ne sont pas coincés. Les Nouveaux Réalistes – Jean Tinguely, Klein, Arman, César Baldaccini, Spoerri – ont fait de très bonnes choses à une époque, pendant la grande période de l’après-guerre. Mais Spoerri et Tinguely n’avaient pas du tout ce côté un peu huguenot, un peu coincé, que j’ai l’impression d’avoir. Ils étaient constamment dans l’escalade, Pierre Restany les a réunis, et ils ont travaillé les uns avec les autres. Quant à moi, j’étais le petit provincial, complètement isolée du monde. Je ne pouvais pas vraiment faire des choses scandaleuses dans mon atelier à Cholet ou à Clisson où j’étais avant.

Quant à ces merveilleux artistes russes dont nous parlions, j’étais tellement désolé quand j’ai vu combien de temps il fallait pour les connaître, pour apprendre que Rodchenko avait fait ces trois monochromes. J’ai appris tout cela plus tard, et c’est regrettable, mais le résultat est que, même si j’adorais Mondrian, je pense que De Stijl a été quelque peu surévalué par rapport au constructivisme. De même, un type très sous-estimé, qui m’intéresse davantage aujourd’hui, précisément parce qu’il n’a pas été autant promu, est Bart van der Leck, qui a été éclipsé.

Buchloh Vous avez également adopté une position critique, j’imagine, en ce qui concerne votre relation avec les avant-gardes des années 1920. Par exemple, l’esprit utopique, l’espoir concrétisé dans l’œuvre de Mondrian, n’était alors plus possible. Il n’y avait plus d’objectifs sociaux associés à l’abstraction pour votre génération. Y avait-il une sorte de scepticisme qui motivait l’évolution de votre travail ?

F. Morellet Pendant plusieurs années, j’ai eu un peu honte de mon scepticisme. Il a dû augmenter progressivement, mais au début, j’étais encore dans l’idéalisme des années 1920.

Buchloh Oui, il y avait donc un modèle utopique au début ?

F. Morellet Oui, au début. Mais quand j’ai fait les trois lignes horizontales croisant les trois lignes verticales, j’ai senti que je lançais une sorte de provocation.

Buchloh C’était aussi une façon de concevoir un modèle d’égalité ?

F. Morellet Il y avait un côté mystique, au sens large du terme. Il y avait une provocation, bien sûr, mais elle n’était pour personne puisque je n’exposais pas encore, même si j’avais dans l’idée qu’un jour quelqu’un la verrait. Mais je cherchais une forme de pureté, un mot qui aujourd’hui m’horrifie – je le trouve même dangereux. (Si un politicien le prononce, je vais me précipiter dans le pays d’à côté.) J’ai été séduit par l’idéalisme un peu bête de Mondrian, mais le scepticisme est venu très vite. Chaque année, la proportion de tableaux sceptiques augmentait, dès 1954, avec l’arc fragmenté par exemple. Ce n’était plus mystique.

Buchloh Mais ce n’était pas drôle non plus, c’était une sorte de perversion du problème. Cela restait sérieux. Ce n’était pas la ligne telle que définie par Manzoni, par exemple.

Danielle Morellet Puis, à partir de 1958, il y a eu toutes les répartitions réalisées avec le hasard, une vraie percée grâce à l’humour.

F. Morellet Oui. Kelly avait déjà fait ce genre de choses, pas dans l’esprit dadaïste, et les Arp l’avaient déjà fait dans l’esprit dadaïste. Il peut y avoir une mystique du hasard. Par exemple, le Hollandais Herman de Vries, dont j’aimais beaucoup l’œuvre, ne travaillait pas avec le hasard mais avec une mystique du hasard. Dans mon travail, l’utilisation du hasard n’avait rien de mystique, il s’agissait plutôt de montrer que l’utilisation du hasard était la règle du jeu.

D. Morellet C’est bien sûr là où LeWitt s’est retrouvé huit ans plus tard.

Buchloh Oui, et j’aimerais revenir sur cette extraordinaire peinture que vous avez réalisée chez vous en 1958. J’avais l’impression qu’elle n’était ni cynique ni utopique, mais presque un peu sceptique.

F. Morellet Nihiliste.

Buchloh Oui, un peu. S’éloignant à la fois de l’abstraction et de la sérialité. C’est une attitude extrêmement critique mais qui se déroule dans un espace totalement neutre. C’est vraiment difficile à expliquer. Ce n’est pas désespéré ; c’est une négation de l’expression…

F. Morellet C’est un peu l’esprit de Robert Ryman pour moi, de remplir une surface comme ça.

Buchloh Ce tableau m’a frappé parce que je ne l’avais jamais vu auparavant, et sa radicalité m’a frappé. Il y a une qualité que je trouve chez Manzoni, même si ce n’est pas toujours drôle ou dadaïste. Mais dans certaines de ses œuvres, il y a cette sorte d’objectivité neutre ; c’est presque positiviste.

F. Morellet Oui, un peu. Il serait préférable de parler d’absurde, plutôt que d’humour, avec mon travail. J’aime l’ordre et l’absurde, mais surtout pas comme des qualités séparées. Les choses que j’ai toujours le plus aimées – par exemple ce film de Fischli et Weiss – sont généralement très construites, très ordonnées dans leur succession, et complètement absurdes. L’ordre et l’absurde : cela peut avoir un côté nihiliste, parce que c’est tragique, et cela peut aussi avoir un côté comique…

Buchloh Est-ce que ça peut aussi avoir un côté mécanique ? Il y a aussi un jeu avec le mécanisme du dessin dans cette œuvre. C’est un anonymat presque complet, et en même temps, il conserve une structure et une conception qui résiste à l’anonymat complet.

F. Morellet J’ai cette théorie que les artistes sont là pour préparer le terrain afin que les spectateurs puissent y déballer leur pique-nique. Ce n’est pas une idée très novatrice, mais je pense que ce que le spectateur trouve dans l’art, c’est ce qu’il y apporte. Pour moi, afin que les spectateurs puissent déballer le plus grand pique-nique possible, j’en mets le moins possible. Je recherche une neutralité, ou une pauvreté, afin de recevoir une certaine forme de richesse de la part du spectateur. C’est comme quand j’écoute Steve Reich. Il n’y a rien, et c’est pourquoi je peux y entrer. Ce penchant pour le vide est une sensibilité, je pense, qui appartient au vingtième siècle, et peut-être au Japon à d’autres époques. En fin de compte, en ce qui concerne de nombreuses pièces que j’ai réalisées, il faut parler de l’absurde et de l’humour, mais aussi d’un penchant pour le vide.

J’ai toujours aimé Ryman. Je trouve qu’il caractérise très bien le genre de neutralité qui vire au “rien du tout” avec un certain raffinement et toujours sans drame. C’est un “rien du tout” qui sourit et qui est complètement vide en même temps. Pour moi, mes trois lignes horizontales qui croisent mes trois autres lignes verticales, c’est la même chose ; ce vide permet de dire : “Oh, ouf, il n’y a rien, mais c’est quand même très agréable qu’il n’y ait rien” – voilà.

1 Frank Stella, cité dans Bruce Glaser, “Questions to Stella and Judd”, ARTnews (septembre 1966), repris dans Minimal Art : A Critical Anthology, ed. Gregory Battcock (New York : Dutton, 1968), pp. 148-64. 2 Pour en savoir plus, voir “The Rigorous Absurd : Yve-Alain Bois, Benjamin H. D. Buchloh, and Béatrice Gross in Conversation”, dans ce volume, pp. 27-28 ; Flash Art, no. 39 (février 1973), p. 33. 3 Lucio Fontana avait acheté le tableau de Morellet, puis Manzoni avait offert sa propre œuvre à Morellet au lieu du paiement de Fontana. 

Traduit par Molly Stevens. © Dia Art Foundation. Traduction anglaise publiée à l’origine dans Béatrice Gross avec Stephen Hoban, eds., François Morellet (New York : Dia Art Foundation, 2019), p. 207-212. Réalisée à l’origine en 1987 chez les Morellet à Cholet, France, cette conversation a été traduite, condensée et éditée pour cette publication.

A Conversation among Benjamin H. D. Buchloh, François Morellet, Danielle Morellet (1987)

Benjamin H. D. Buchloh What was your artistic training and what did you know about art history when you began working?

François Morellet To run through it very quickly, in the 1940s, I started off with figurative painting, but without ever having had a teacher. It was really more about the savor of being a painter; I had wanted to be one, perhaps because my father had somewhat overestimated painters. He didn’t like painting so much, but he liked painters and would have liked to have been one. When I made my first canvas, I put a lot of paint on my shorts to look like a painter; that seemed important. I still enjoy it, but I realize that at that time I must have had a somewhat romantic notion about the profession.

I was against museums because I had read everywhere that museums were temples, that they had to be burned down. But I loved the Musée de l’Homme and was very influenced by everything I saw there, especially Oceanic art and the tapa cloths printed with abstract motifs. I spent a lot of time there. That was in the late 1940s. I was practically making faux-Oceanic work, and I’m still happy whenever I see those tapa cloths. Then in the early 1950s, I must have approached abstraction through the influence of the Ecole de Paris.

Buchloh At the beginning of your career, did you respond to the avant-garde, particularly the Russian Constructivists from 1915 to 1925? In the late 1940s, were Piet Mondrian or Kazimir Malevich among your influences?

F. Morellet No, not at all. The influence of Katarzyna Kobro, Alexander Rodchenko, and company was much later. At that time, I was influenced in some ways by Alfred Manessier, Maria Helena Vieira da Silva, and Serge Charchoune, a painter whom I still like. Around 1950, I made my first abstract paintings. They involved lines that were more or less horizontal and more or less vertical, which yielded a kind of checkerboard, a construction to be filled in as the next step, a bit like Paul Klee or some Ecole de Paris artists. Then I quickly arrived at something much simpler. In 1951, for example, I made a small painting, the surface of which is divided in two by a diagonal, revealing only a white side and a gray side.

Buchloh Was the more local tradition of reductive abstraction like that of Victor Vasarely or Auguste Herbin also an influence?

F. Morellet During that period, Vasarely was painting in a very Ecole de Paris way; he eventually came to reduction, to black and white, toward the end of the 1950s. When I met him, it seemed that I had taken it further than he had. At the time, he was making large color forms; they were pretty but lacked a system or construction.

Buchloh And Josef Albers?

F. Morellet No, but there was a huge event for me at the time. In 1950 we wanted to emigrate to Brazil because we didn’t believe in Europe anymore. When we got there in 1950 or 1951, Max Bill had just mounted a large exhibition, and I met artists who showed me bad black-and white newspaper photos of that show.

Buchloh You had to go to Brazil to discover Max Bill? That’s a fantastic paradox.

F. Morellet It’s strange, right? I was already making abstract work that was pretty simple, but it wasn’t yet justified, Concrete. Those images by Bill were a revelation, and that’s how I came to know Albers. At the time, Bill was establishing the Hochschule für Gestaltung in Ulm, Germany, and I met quite a few artists there. The Brazilian artist Almir Mavignier, who had come to France maybe in 1951, right after my return from Brazil, went to study in Ulm. He’s the one who brought me there for the first time. In Paris, around 1953–54, he also introduced me to Ellsworth Kelly, who was in Europe at that time. We met many times with Bill. What I liked about him was his conceptual, Concrete side, which was in line with Theo van Doesburg’s principle that a work has to be conceived of before being executed; a work has to be justified.

My two great influences were Concrete art, which I discovered through Bill, and Islamic art, through the arabesques of the Moorish motifs at the Alhambra in Granada, Spain. If you plug both into the computer, it will probably give you a lot of things that I made in the 1950s.

We looked through Danielle’s notebooks to see if my first trames (grids) were made before or after the visit to the Alhambra. At first, I thought it had been a direct influence but then realized that I had already executed trames of evenly distributed motifs before our 1952 trip. But no matter, the Alhambra was a huge revelation. The Concrete art that I had discovered with Bill had its systematic aspects. All of a sudden, with the Alhambra, that all-over seemed amazing to me, infinite.

Buchloh You met Kelly around 1953. Did you see his famous exhibition in 1951 at the Galerie Arnaud? Did you live in Paris at the time?

F. Morellet No, I studied in Paris but didn’t live there. I met Kelly and then, of course, saw some of his exhibitions, like the one at Galerie Maeght for example.

Buchloh Were you somewhat friendly with Kelly at the time?

F. Morellet Yes. In the end, he lived with my parents in a small room above their apartment. In Paris there was another marvelous guy, who was making very minimalist paintings, Jack Youngerman. And Alain Naudé. We were all friends.

Bill’s work came as a shock for me and I think for Kelly as well. He had visited Bill a number of times and talked to me about it, but I don’t think that comes up in the literature about Kelly.

Buchloh It’s always Jean Arp and Joan Miro, who are mentioned.

F. Morellet Kelly didn’t talk to me about Arp, except for maybe things he did with Sophie Taeuber-Arp having to do with chance.

I wasn’t meeting many people during that period. We’d go to Paris some weekends; we’d have dinner with Kelly, Youngerman, and Naudé. But I didn’t have the opportunity, as a number of artists did, to study at the Ecole des beaux-arts, to have free time, talk, meet other artists. I never visited Arp. I visited Georges Vantongerloo twice because Bill, who was very influenced by him, told me to do so. Those were my contacts, but let’s turn back to the great master Mondrian. Serge Lemoine told me that the first reproduction of his work published in France was in a book by Skira released three years after Mondrian died. There was not a single Malevich and certainly not a Rodchenko or Kobro. I remember opening that book and discovering that Mondrian reproduction. It must have been around 1950. It annoyed me. “Why be so aggressive?” I wondered. But I kept returning to the book. It fascinated and annoyed me at the same time. Once the annoyance passed, and thanks to Bill, who had served as a stepping-stone, I enjoyed a big love affair with Mondrian. At the same time, there was the fascination with Marcel Duchamp, who wasn’t very well known in France during that period.

I was friends with Joël Stein, whom I met in Paris and who was part of the Groupe de Recherche d’Art Visuel (GRAV). He was a wonderful guy, very literary. He had attended meetings and been somewhat involved with the Surrealist group. He’s the one who introduced me to Duchamp. I. was fascinated and excited by the irritation that Duchamp’s attitude could trigger. I liked the contrariness, and while identifying myself with Mondrian, I continued to be fascinated by Duchamp.

Buchloh What about artists from the Abstraction-Création group in Paris during that period?

F. Morellet It’s funny because in the 1950s there was a lot of geometric art, at the Salon des réalités nouvelles in particular. Then a number of artists, like Youngerman and others, changed their practice. There was a vitality in the early 1950s before certain artists gave it up because of a lack success (success somewhat graced Art Informel painting instead).

The year 1952 was perhaps the one in which I made the most work that continues to interest me, most of it having very little, if any, composition. Uniformly distributed paintings, tapping somewhat into the spirit of the monochrome, containing elements like stripes, trames, repeated

things, a bit like the repetitive music that I encountered much later. Serial music had always bored me (at that time, I was passionate about jazz). It only excited me much later, with Steve Reich. I was such a champion of uniformly distributed painting that when I saw Barnett Newman’s works, for example, zilch! They didn’t do anything for me! To me, Newman was the ultimate in composition, in the arbitrary. On the other hand, the Pollocks that I had seen at the gallery Studio Paul Facchetti were much closer to what interested me.

Buchloh I saw one of your paintings from 1958 on the third floor of your house that struck me enormously. I had never seen work from that period. It interested me because I immediately thought that there was a real dialogue with Jackson Pollock’s work or that it could even represent a response to his work.

F. Morellet Vasarely said it very nicely: You’ve effectively done Tachisme without getting your fingers dirty. That was exactly it.

Buchloh Was it a response to Pollock in a certain way?

F. Morellet No. Maybe. In 1952 I was in love with Mondrian (I must have started loving him in 1950). But to me, he didn’t go all the way. What continues to be traditional in Mondrian is composition.

Buchloh Instead of composition, what interested you were principles, series, repetition, an objective system?

F. Morellet Yes, especially the least number of subjective decisions possible. The painting I love the most is from 1953, a white square in which three vertical lines and three horizontal lines form sixteen squares.

Buchloh It’s the perfect grid.

F. Morellet The perfect grid. With the edge of the painting replacing the line, it forms sixteen squares. It’s satisfying because it was going against Mondrian, further than Mondrian, against the Ecole de Paris, against everything that was happening at that time.

Buchloh What do you think about Frank Stella’s famous argument about relational painting, in other words compositional painting? He stated that all European painting adhered to composition, with a balance between weight and counterweight, as in the case of Mondrian. And Stella, in his famous 1966 interview, stated that he had, with his 1959 black paintings, broken with that tradition of relational painting.1 Obviously, it takes some nerve to say that.

F. Morellet Yes. To me, Stella is still a great character; he’s done lots of things. He was a good friend of Kelly, who in fact had reproductions of my work and wanted to introduce me to Stella. Around 1954 I made paintings with concentric angles, a motif that Stella soon favored. Just four or five years apart, our painting looked very much alike.

Buchloh In any case, those are questions that an entire generation of artists was facing, and inevitably, some solutions and responses might be similar.

F. Morellet Yes, of course. But if you were unfortunate enough to do what an American had already done, you’re going to hear about it; but when it happens in the opposite direction! I experienced the same with Sol LeWitt…

Buchloh Yes, I wanted to avoid that subject because it’s an old story.

F. Morellet Yes, it’s an old story, launched by my gallery in. Germany, along with a somewhat heavy-handed promotion.2But in the United States, it brought me more problems than advantages. In any case, what’s certain is that when you move forward with a trajectory, it can happen that others have arrived at the same point. It also happened to me in the other direction, to make things after others did, to realize it and go back.

When Du jaune au violet (From Yellow to Purple, 1956), was exhibited at a fair by Galerie m, the dealer at Stella’s German gallery mistook it for a Stella. The same situation happened to me with the LeWitt I saw in Flash Art; I thought it was one of my paintings.

Buchloh To get back to the principles of your work, in what respect did Duchamp influence you? I imagine that you must have been interested in his redefinition of distance or line?

F. Morellet That’s right, distance, but also the kind of myth that began to take shape around Duchamp when there still weren’t many in-depth articles on him and few reproductions. Jan van der Marck was the first to write about that monstrous relationship between Mondrian and Van Doesburg on the one hand, and Duchamp and Francis Picabia on the other.

As it started to be mentioned then and as it continues to be mentioned—and it really makes me happy—I think I wasn’t ever really serious. When I made my broken circle arc in 1954, it was also to shock, to distance myself from geometry and from Constructivism. When I made those fully distributed paintings with trames, repetitions, it was also a means of reacting against Constructivism and Mondrian. When I made random paintings of uniform distributions of 40,000 squares or random lines, it was a parody of, an ironic take on that.

To present a simple line broken into four parts like that was as much Picabia and Duchamp as it was Mondrian. I discovered Van Doesburg much later. I loved Mondrian so much at first that I took sides against Van Doesburg, and one day, I realized that I resembled him, not Mondrian.

Buchloh Were you friendly with certain artists coming out of Nouveau Réalisme?

F. Morellet No, not at all. I met Daniel Spoerri only very late and Arman, even later. And Yves Klein, of course. The first things I saw . . . and his attitude, and all, somewhat fascinated me.

Buchloh And Ad Reinhardt, for example, did you see his exhibition in Paris at Galerie Iris Clert? It was in 1954.

F. Morellet I saw a lot of Reinhardt at that time—he was in a lot of exhibitions—but I didn’t think much of it.

Buchloh Really? Despite his principle of non-composition? Because there’s less composition in his work than in Newman’s.

F. Morellet Not so much. I saw a delicacy that I found pretty and modern, but . . .

Buchloh But in his work the principle of seriality was meant to be a principle that tended to abolish composition.

F. Morellet Yes, of course, completely. And Malevich always bored me for example and still does today . . .

Buchloh When did you ultimately discover him?

F. Morellet I never discovered him because discovering means appreciating. Mondrian, for example, first annoyed me, in the years 1949–50; then I liked his work.

After Youngerman, Naudé, and Kelly left France, I found myself all alone again. Around 1959, a load of South American artists arrived, and in the meantime,

we came into contact with rather wonderful people named Molnàr from Hungary. So we decided to form a group with some of those South Americans, who had meanwhile gone to see Vasarely. The group took its stable form with six people, three South Americans and three Europeans: Horacio García Rossi, Francisco Sobrino, Julio Le Parc, and Yvaral (Vasarely’s son), Stein, and me. We all pretty much stopped painting in those years.

From 1960 to 1968, we played a lot off labyrinths, in particular a big one for the Paris Biennial in 1963. People would enter “pénétrables,” as Jesús Rafael Soto called them later. There was an entire room with 40,000 random squares in red and blue all over the walls and ceiling. The installation ended with a room with four panels of neons that echoed each other and surrounded viewers.

We were focused on viewer participation. In 1962 I had made my sphere; in 1963 I started working with neon. It had been a kind of parenthesis, where we believed painting was over and that it was now necessary to have the viewer participate, that this was the society of the future.

Buchloh It’s really interesting to understand that your position in the late 1950s and early 1960s was very specific, because it was different from both the so-called geometric or abstract Cubist tradition and from the practice of the Nouveaux Réalistes, which referred to Duchamp. Your

position referred to Duchamp and Mondrian alike but strove to move away from the two and transform all those avantgarde paradigms, but in what seems today to be a rather complex and isolated space.

F. Morellet Yes, it could be summarized as the monstrous son of two distinct heritages. In the end, I have that Constructivist puritanism in me. The Concrete artists, the Constructivists, the Minimalists, De Stijl—they’re all moralists, puritans, and really Jansenists. I have that uptight side and I like that rigor, but I also have a very strong penchant for the absurd and dynamic.

Buchloh With regard to those two postures—to simplify, a Duchampian position and a reductivist, utopian position— did someone like Piero Manzoni interest you? Because he tried to connect those two positions in the same way.

F. Morellet Yes. The first painting I sold was through a gallery called Azimut in Milan, founded by Enrico Castellani and. Manzoni. They invited me to have an exhibition in 1960. The group around the gallery had not yet been formed. There were paintings by Castellani, monochromes by Klein and Lucio Fontana, too. Azimut lasted two years. I believe they were the first to exhibit Jasper Johns in Europe.

Manzoni came to buy one of my paintings, a very full trame, somewhat Tachiste. But of course Manzoni never sent me the money. Finally later he sent us two of his “shit boxes,” which were worth about as much as the painting in price. 3

Buchloh Another question should be raised in terms of the artists in the 1950s who brought art to the level of pure spectacle, for example Klein and others coming out of Nouveau Réalisme. That dimension of pure spectacle and provocation is absent in your work, which is much more balanced.

F. Morellet More uptight. You know the word “uptight”? 4 I think I’m very partial to artists who are not uptight. The Nouveaux Réalistes—Jean Tinguely, Klein, Arman, César Baldaccini, and Spoerri—made very good things at one time, during the great post–World War II period. But Spoerri and Tinguely didn’t have that somewhat Huguenot, uptight side at all, which I feel I have. They were constantly into escalation, Pierre Restany brought them together, and they worked with one another. As for me, I was the little provincial one, completely isolated from the world. I couldn’t quite do scandalous things in my studio in Cholet or in Clisson where I was before.

As for those wonderful Russian artists we were speaking about, I was so sorry when I saw how long it took to learn about them, to learn that Rodchenko had made those three monochromes. All of that I learned later, and it’s unfortunate, but with the result being that even though I adored Mondrian, I think De Stijl was somewhat overvalued compared to Constructivism. Also, a very underrated guy, who now interests me more, precisely because he wasn’t as promoted, is Bart van der Leck, who was overshadowed.

Buchloh You also staked a critical position, I imagine, with regard to your relationship to the 1920s avant-gardes. For example, the utopian spirit, the hope concretized in Mondrian’s work, was no longer possible then. There were no more social goals associated with abstraction for your generation. Was there a kind of skepticism that motivated the evolution of your work?

F. Morellet For several years, I felt a bit ashamed of my skepticism. It must have increased gradually, but at first, I was still in the idealism of the 1920s.

Buchloh Yes, so there was a utopian model in the beginning?

F. Morellet Yes, at first. But when I made the three horizontal lines crossing the three vertical lines, I felt I was launching a kind of provocation.

Buchloh It was also a way to conceive of a model of equality?

F. Morellet There was a mystical side, in the broad sense of the word. There was a provocation, of course, but it was for no one since I wasn’t yet exhibiting, even if I had had it in mind that one day someone would see it. But I was looking for a form of purity, a word that now horrifies me—I even find it dangerous. (If a politician says it, I’m going to hurry to the country next door.) I was taken by Mondrian’s somewhat silly idealism, but the skepticism came very quickly. Every year, the proportion of skeptical paintings grew, as early as 1954, with the fragmented arc for example. It wasn’t mystical anymore.

Buchloh But it wasn’t funny either; it was a kind of perversion of the problem. It remained serious. It wasn’t the line as defined by Manzoni, for example.

Danielle Morellet Then, starting in 1958, there were all the distributions realized through chance, a real breakthrough thanks to humor.

F. Morellet Yes. Kelly had done that kind of thing before, not in the Dadaist spirit, and the Arps had done it before in the Dadaist spirit. There can be a mystique about chance. For example the Dutch herman de vries, whose oeuvre I liked a lot, worked not with chance but with a mystique of chance. There was nothing mystical about the use of chance in my work; it was more about showing that the use of chance was the rule of the game.

D. Morellet That’s of course where LeWitt found himself eight years later.

Buchloh Yes, and I’d like to come back to that extraordinary painting of yours from 1958 at your home. I was under the impression that it was neither cynical nor utopian, but almost a bit skeptical.

F. Morellet Nihilist.

Buchloh Yes, a bit. It moves away from both abstraction and seriality. It’s an extremely critical attitude but one that takes place in a totally neutral space. It’s really difficult to explain. It’s not desperate; it’s a negation of the expression—

F. Morellet It’s the spirit of Robert Ryman to me a bit, to fill a surface like that.

Buchloh That painting struck me because I had never seen it before, and its radicality struck me. There’s a quality that I find in Manzoni, even if it’s not always funny or Dadaist. But in some of his work, there’s that kind of neutral objectivity; it’s almost positivist.

F. Morellet Yes, a bit. It would be better to talk about the absurd, instead of humor, with my work. I love order and the absurd, but above all not as separate qualities. The things I’ve always liked the most—for example that film by Fischli and Weiss—are usually very constructed, very ordered in their succession, and completely absurd. Order and the absurd: that can have a nihilist side, because it’s tragic, and it can also have a comical side—

Buchloh Can it have a mechanistic side, too? There’s also a play with the mechanism of drawing in that work. It’s almost complete anonymity, and at the same time, it retains a structure and a conception that resists complete anonymity.

F. Morellet I have this theory that artists are here to prepare the terrain so that viewers can unpack their picnic onto it. It’s not a very innovative idea but I think that what viewers find in art is what they bring to it. For me, in order for viewers to be able to unpack the largest picnic possible, I put the least amount possible in there. I look for a neutrality, or a poverty, in order to receive a certain kind of wealth from the viewer. It’s like when I hear Steve Reich. There’s nothing, and that’s why I can enter into it. That penchant for emptiness is a sensibility, I think, that belongs to the twentieth century, and perhaps to Japan in other eras. In the end, with regard to many pieces I made, you should talk about the absurd and humor, but also a penchant for emptiness.

I’ve always liked Ryman. I find that he very much characterizes the kind of neutrality that veers toward “nothing at all” with a certain refinement and always without drama. It’s a “nothing at all” that smiles and is completely empty at the same time. To me, my three horizontal lines crossing my three other vertical lines was the same thing; that emptiness makes it possible to say, “Oh, phew, there’s nothing, but it’s still really pleasant that there’s nothing”— there you have it.

1 Frank Stella, quoted in Bruce Glaser, “Questions to Stella and Judd,” ARTnews (September 1966), repr. in Minimal Art: A Critical Anthology, ed. Gregory Battcock (New York: Dutton, 1968), pp. 148–64. 2 For more, see “The Rigorous Absurd: Yve-Alain Bois, Benjamin H. D. Buchloh, and Béatrice Gross in Conversation,” in this volume, pp. 27–28; Flash Art, no. 39 (February 1973), p. 33. 3 Lucio Fontana had bought Morellet’s painting, and then Manzoni offered his own work to Morellet in lieu of Fontana’s payment. 4 Morellet used the word coincé in the original French.

Translated by Molly Stevens. © Dia Art Foundation. English translation originally published in Béatrice Gross with Stephen Hoban, eds., François Morellet (New York: Dia Art Foundation, 2019), p. 207-212. Originally conducted in 1987 at the Morellets’ home in Cholet, France, this conversation has been translated, condensed, and edited for this publication 

Préface de l’artiste (1982)

En 1976-1977, à l’occasion d’une rétrospective de mes œuvres circulant dans quatre musées (La Nationalgalerie de Berlin – La Kunsthalle de Baden-Baden – Le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris -La Commanderie van St. Jan de Nimègue), un catalogue avait été édité.

Dans ce catalogue, jouant à l’historien d’art, j’avais voulu mettre un peu d’ordre (bien qu’on me reprocherait plutôt d’en avoir trop) dans mes œuvres des vingt-cinq dernières années. J’écrivais : « Sur ce catalogue, j’ai classé mes œuvres depuis 1952 en cinq chapitres. Ces cinq chapitres : juxtaposition, superposition, hasard, interférence et fragmentation, représentent les cinq grandes familles des systèmes que j’ai utilisés depuis vingt-cinq ans (le plus souvent simultanément). »

Et mes œuvres arrivèrent tant bien que mal à quitter le confortable classement chronologique pour se regrouper dans ces nouveaux territoires aux frontières incertaines. En fait, pas si mal que ça en général, sauf en ce qui concernait certaines toiles des dernières années. Comme, par exemple, cette peinture de 1976 : Trame 5° placée horizontalement.

J’avais classé cette œuvre dans les juxtapositions parce qu’en effet elle est couverte de lignes parallèles, horizontales, juxtaposées. J’avais voulu ignorer un petit détail, c’est que la particularité la plus importante de ce tableau n’est peut-être pas d’avoir des lignes juxtaposées, mais plutôt d’être présenté penché à 5°.

Et cette « qualité d’être penché », non seulement n’avait aucun chapitre existant pour l’accueillir, mais ne pouvait être l’objet d’un nouveau chapitre à moins d’accepter une classification comme celle utilisée dans « une certaine encyclopédie chinoise » inventée par Borgès (et rapportée par M. Foucault dans Les mots et les choses), où il est écrit que « les animaux se divisent en : a) appartenant à l’Empereur, b) embaumés, c) apprivoisés, d) cochons de lait, e) sirènes, f) fabuleux », etc.

D’un autre côté, j’aurais pu ne m’intéresser pour mon classement qu’aux traces de l’ancienne nature de ma toile (la juxtaposition), comme le font les naturalistes qui, par exemple dans les chauve-souris, considèrent d’abord les mamelles, signes d’un passé honteux, et non les ailes, fruits d’une plus récente et merveilleuse évolution qui les place bien au-dessus des vaches.

Je n’ai jamais pu accepter ce type de classification basé sur ce qui est dépassé. Un classement doit, pour moi, tenir compte en premier de ce qui vient d’arriver ou même de ce qui va arriver.

Cette méthode a d’ailleurs, entre autres avantages, de rendre inclassable tout ce qui est nouveau. Comme étaient en fait inclassables pour moi, en 1976, ces tableaux penchés, apparus vers 1973, et comme doivent l’être maintenant mes œuvres vraiment nouvelles (si elles existent).

Ces œuvres inclassables, d’après mon système, étaient l’exception. Elles sont devenues maintenant la règle. Aussi, je n’ai plus qu’à déclarer close cette nomenclature qui ne me sert plus à rien, et je lui donnerai comme titre : chapitre premier. Exactement comme on le fait pour l’Histoire récente où l’on voit tous les événements contradictoires d’une période devenir « 1a Ve République » quand arrive la VIe ou « la République » quand vient un autre régime, ou même, si les circonstances s’y prêtent, « 1’avant-guerre ».

Ma classification revue et élargie n’aurait donc plus que deux chapitres : avant (voir catalogue Berlin, Baden-Baden, Paris, Nimègue) maintenant (ce catalogue). Soit, plus formellement : les œuvres avec quelque chose dedans (et du neutre autour), les œuvres avec quelque chose autour (et du neutre dedans), ou les œuvres obéissant aux contraintes de la géométrie et les œuvres utilisant la géométrie des contraintes, ou enfin, les œuvres coupées du monde, protégées sur leur support idéal: stable, intemporel et immatériel, et les œuvres éclatées, chassées hors d’un support qui se montre enfin tel qu’il est : pesant, instable, capricieux et toujours prêt à jouer les premiers rôles.

Pourquoi écrire tout cela ? Pourquoi tout vouloir justifier comme si on était encore dans les années soixante ? Pourquoi ressortir ce rationalisme débile et classificateur définitivement démodé ?

Au fait oui, pourquoi ?

Mais, c’est sûrement parce que je suis définitivement démodé.

Publié dans François Morellet – Werke/Works 1976-1983 (cat. d’exp.), Bottrop, Josef-Albers-Museum 1983, Ludwigshafen, Wilhelm-Hack-Museum, 1984, p. 10

Artist’s Preface (1982)

In 1976–77, on the occasion of a retrospective of my work that circulated among four museums (the Nationalgalerie in Berlin, the Kunsthalle in Baden-Baden, the Musée d’art moderne de la Ville de Paris, and La commanderie van St. Jan in Nijmegen), a catalogue was published.

In this catalogue, playing art historian, I tried to impos e a bit of order (even though I would likely be accused of having too much of it) on my works from the preceding twenty-five years.

I wrote: “In this catalogue, I have classified my works since 1952 into five chapters. These five chapters— juxtaposition, superimposition, chance, interference, and fragmentation—represent the five major families of systems that I have used for twenty-five years (most

often simultaneously).”

And so my works managed, for better or for worse, to slip the comforts of chronological classification in order to gather in these new territories with uncertain borders. Generally not for worse, in fact, except in the case of certain canvases from recent years. Such as, for instance, this painting from 1976: Grid Tilted 5° Placed Horizontally.

I had classified this work among the juxtapositions because it is covered in parallel, horizontal, juxtaposed lines. I would have preferred not to discover one small detail, namely that the most important particularity of this painting was perhaps not its having juxtaposed lines, but rather its being tilted by five degrees.

And this “quality of being tilted” not only had no existing chapter to accommodate it, but also could not be the basis of a new chapter unless I were to accept a classification like the one used in “a certain Chinese encyclopedia” invented by Borges (and related by M. Foucault in The Order of Things), in which it is written that “animals are divided into:

(a) those that belong to the Emperor, (b) embalmed ones, (c) those that are trained, (d) suckling pigs, (e) mermaids, (f) fabulous ones,” etc.

On the other hand, I could have limited my attention, for these classifications, to the traces of an older nature on my canvas (juxtaposition), in the spirit of those naturalists who, for instance in the case of the bat, first considered the udders, signs of a shameful past, and not the wings, fruits of a more recent and marvelous evolution that places them

well above cows.

I have never been able to accept the kind of classification that is based on what has since been surpassed. A classification must, to my mind, take into account first and foremost what has just happened, or even what is about to.

This method has, among others, the advantage of rendering unclassifiable anything that is new. Just as these tilted paintings, which appeared in 1973, were unclassifiable for me in 1976, so must my truly new works (if they exist) be unclassifiable now.

These unclassifiable works, according to my system, were the exception. They have since become the rule. Thus, I now have only to declare closed this nomenclature that no longer serves me any purpose, and give it a title like “Chapter One.” Exactly the way one does for Recent History,

where we see all the contradictory events of a period become “The Fifth Republic” once the Sixth arrives, or “The Republic” once another regime does, or even, circumstances permitting, “The Antebellum.”

My rethought and broadened classification, then, would have only two chapters: before (see the Berlin, Baden-Baden, Paris, and Nijmegen catalogue) and now (this catalogue). Or,

to put it more formally, those works with something in them (and neutrality around them) and those works with something around them (and neutrality in them), or those works obeying

geometric constraints and those works using the geometry of constraints, or, finally, those works that are cut off from the world, protected in their ideal medium—stable, timeless, immaterial—and those works that are exploded, driven outside of a medium that finally reveals itself to be what it truly is: weighty, unstable, capricious, and always ready to take center stage.

Why write all this? Why try to justify everything as though we were still in the sixties? Why drag out, once again, this idiotic, classificatory, definitively outmoded rationalism?

Yes indeed, why?

Well, surely because I myself am definitively outmoded.

Translated by Daniel Levin Becker. © Dia Art Foundation. English translation originally published in Béatrice Gross with Stephen Hoban, eds., François Morellet (New York: Dia Art Foundation, 2019), p. 206-207. Originally published as « Préface de l’artiste » in François Morellet: Werke/Works, 1976–1983 (Bottrop, West Germany: Josef Albers Museum; Ludwigshafen, West Germany: Wilhelm-Hack-Museum, 1983), p. 10.

Géométrie iconoclaste et géométrie accidentée (1981)

Les géomètres les avaient depuis toujours, moi, je m’en doutais, mais il m’a fallu vingt-cinq ans de pratique para-géométrique pour l’accepter : on ne peut pas « représenter » la géométrie.

Oui, l’immatérialité, l’infini sont les premières qualités de ces lignes, de ces plans dont j’avais la spécialité de « tirer le portrait ».

Bien sûr, je savais (et ça m’énervait) que pour la plupart des amateurs, le premier charme de ces peintures dites géométriques, c’est l’accident, c’est-à-dire ce qui n’est pas la géométrie : l’irrégularité, la texture, la couleur des lignes et des plans (la sensibilité du noir de Malevitch, des couleurs de Mangold ou de l’acier corten de Serra, l’épaisseur des lignes de Mondrian ou le tremblement de celles de S. Lewitt).

Je pensais que ces amateurs avaient tort. J’acceptais même, avec une certaine satisfaction, leur dégoût devant mes œuvres où j’avais retiré, autant qu’il m’était possible, ces délicieuses imperfections. Autant que possible, bien sûr, mais bien moins que nécessaire (pour une pure géométrie).

Maintenant, ma réaction est bien plus complexe en face des « accidents ». Oui, je refuse toujours les accidents d’outils (crayons tremblant, pinceaux bavant, bidons perdants, etc.) ou les accidents de surface (plis de la toile, veines du bois, rouille du métal…), toute cette science des malfaçons artisanales employées sur des matériaux non homogènes, ce « goût du mal fait » cher aux écolos recyclés qui a amené les industriels à imaginer des machines spéciales pour faire des nœuds apparents dans les toiles de lin, des craquelures et des taches dans les céramiques, des bords irréguliers dans les morceaux de sucre roux, etc. Je n’ai pas capitulé devant la demande toujours plus pressante de ces amateurs d’accidents raffinés, mais j’ai abandonné l’espoir de représenter correctement la pure, l’irreprésentable géométrie.

Alors, avec l’esprit de basse vengeance d’un amoureux déçu, je me suis laissé aller à mon goût d’une autre sorte d’accidents redoutables, ceux qui viennent de la rencontre absurde de de deux systèmes logiques. J’ai toujours eu un faible pour ces rencontres exemplaires et historiques comme la fabrication de pissotières et la promotion d’œuvres d’art, la représentation d’un objet et l’inscription d’un titre qui n’en tient pas compte, la superposition de deux œuvres de natures différentes, etc.

Oui, je les aime bien ces accidents de la circulation de l’information ! Collisions de logiques pas faites pour se rencontrer, accouplements hors-nature de logiques inverties, enfin tout ce qui permet à l’intelligence d’exister libre, noble et absurde.

Dans cet esprit, je me suis amusé, dans les cinq dernières années, à provoquer quelques-uns de ces accidents. J’ai, par exemple, pris les deux systèmes traditionnels :

– le système de présentation, c’est-à-dire le support (mur, clou, ficelle, châssis, toile, etc.) qui, en principe, est neutre.

– le système de représentation, c’est-à-dire l’intervention artistique ajoutée sur le support (dessin, peinture, collage. etc.) qui, en principe, est l’œuvre d’art.

Premier accident, j’ai mis les deux systèmes à égalité, leur donnant la même fonction : par exemple, représenter un carré.

Ces deux carrés doivent être superposés et l’un pivoté de quelques degrés autour de l’un de leurs angles. Problème classique de géométrie classique. Mais le carré-support a une épaisseur et le carré-œuvre d’art est mou.

Autre accident, j ‘invertis les deux systèmes. Le support, par une position, une inclinaison inhabituelle, devient l’œuvre d’art, par contre la peinture n’est là que pour indiquer le peu d’information que la neutralité du support donne habituellement : l’horizontalité verticalité…

Publié dans Bulletin n° 12, 1981, n. p.

Iconoclastic Geometry and the Geometry of Accident (1981)

Geometers have always known it, and I myself suspected it, but it took me twenty-five years of para-geometric practice to accept it: it is not possible to “represent” geometry.

Yes, immateriality and infinitude are the primary qualities of these lines and planes of which I specialized in “portraying them.”

Of course, I knew (annoyingly) that for most art lovers the primary charm of these so-called geometric paintings was the accidental—that is, that which is not geometry:

the irregularity, the texture, the color of the lines and planes (the sensitivity of Malevich’s black, of Mangold’s colors, of Serra’s Corten steel, of the thickness of Mondrian’s lines or the wobbliness of S. LeWitt’s).

I believed that these art lovers were wrong. I even accepted, not without a certain satisfaction, their disgust at those works of mine from which I had removed, as much as was possible, these imperfections. As much as was possible, of course, but certainly less than was necessary (for a pure geometry).

Now my reaction to these “accidents” is considerably more complex. Yes, I continue to refuse the accidents of tools (shaking pencils, dribbling brushes, leaking containers, etc.) or the accidents of surface (folds in the canvas, veins in the wood, rust on metal…), that whole science of artisanal flaws used on non-homogenous materials, that “taste for the poorly done,” cherished by reclaimed ecologists, which inspired industrialists to dream up special machines to create visible knots in linen canvases, cracks and stains on ceramics, irregular edges on lumps of brown sugar, etc. I did not capitulate to the ever more pressing demands of these lovers of refined accidents, but I abandoned the dream of faithfully representing pure, irrepresentable geometry. So, with the basely vengeful spirit of a jilted lover, I allowed myself to embrace my taste for another kind of accident, the kind that comes from the absurd meeting of two logical systems. I have always had a weakness for these exemplary and historical encounters, like the manufacture of urinals with the promotion of art, or the representation of an object with a title that has nothing to do with it, or the superimposition of two works of different natures, etc.

Yes, I am quite fond of these accidents in the circulation of information! The collisions of logics not designed to coexist, the unnatural couplings of inverted logics, and in general anything that allows the intelligence to remain free, noble, and absurd.

In this spirit I have amused myself, over the last five years, by provoking some of these accidents. I have, for example, taken two traditional systems:

— the system of presentation, i.e. the nuts and bolts of the medium (wall, nail, string, frame, canvas, etc.), which is, in principle, neutral.

— the system of representation, i.e., artistic intervention brought to bear on the medium (drawing, painting, collage, etc.), which is, in principle, the work of art.

In the first accident, I put the two systems on equal footing, giving them the same function: for example, representing a square. These two squares are to be superimposed, one on top of the other, with one rotated by a few degrees around one of their angles. A classical problem of classical geometry. But the medium-square is thick, and the artwork-square is limp.

In another accident, I inverted the two systems. The medium, thanks to its placement at an unusual incline, becomes the artwork, whereas the painting is there only to indicate what little the neutrality of the medium normally communicates: the horizontality-verticality…

Translated by Daniel Levin Becker. © Dia Art Foundation. English translation originally published in Béatrice Gross with Stephen Hoban, eds., François Morellet (New York: Dia Art Foundation, 2019), p. 205-206. Originally published as « Géométrie iconoclaste et géométrie accidentée » Bulletin, no. 12 (1981), n.p

Commentaire à la géométrie des contraintes (1981)

En 1980, dans le texte ci-dessus, j’avais donc montré combien, en trente ans, mes sources d’inspiration géométrique s’étaient dégradées, passant de la pure géométrie à la « géométrie des contraintes », la représentation (de la géométrie) n’existant plus que dans la présentation (des tableaux-plans).

Les plans immatériels avaient été ridiculisés, mais je n’avais pas encore vraiment touché aux lignes.

Maintenant, c’est fait.

Et pour cela, je reviens à la représentation de mes lignes « à peu près géométriques » classiquement sur la surface de mes tableaux.

Mais, n’ayant pu montrer le point idéal où une ligne encore visible quitte la basse matérialité pour gagner l’infini, je m’intéresse maintenant à trouver le point de non-retour où une ligne, rentrant dans la basse matérialité, abandonne jusqu’à sa qualité de ligne même.

Le point après lequel Euclide et Pythagore ne pourront plus rien pour elle.

Publié dans Morellet (cat. d’exp.), Paris, Centre Pompidou, 4 mars-11 mai 1986, p. 193.

Commentary on the Geometry of Constraints (1981)

In 1980, in the previous text, I showed the degree to which my sources of geometric inspiration had deteriorated over thirty years, moving from pure geometry to the “geometry of constraints,” all representation (of geometry) ceasing to exist except in the presentation (of planar paintings).

Immaterial planes had been debunked, but I had not yet truly addressed lines.

Now I have.

And to do so, I return to the representation of my “approximately geometric” lines, appearing classically on the surface of my canvases.

But, unable to show the ideal point where a still-visible line leaves behind lowly materiality and attains the infinite, I am now interested in finding the point of no return where a line, returning to lowly materiality, abandons even the quality of linearity.

The point past which Euclid and Pythagoras can no longer do anything to save it.

Translated by Daniel Levin Becker. © Dia Art Foundation. English translation originally published in Béatrice Gross with Stephen Hoban, eds., François Morellet (New York: Dia Art Foundation, 2019), p. 204-205. Originally published as “Commentaire à la géométrie des contraintes,” in Morellet (Paris: .Éditions du Centre Georges Pompidou, 1986), p. 193.

La géométrie des contraintes (1981)

Pendant vingt ans, j’ai cru que mes tableaux étaient des plans et que mes lignes étaient des droites. Les droites et les plans idéaux que me décrivait mon manuel de géométrie, classe de cinquième.

Avec une bonne volonté méritoire, je cherchais, à cette époque, dans mes tableaux : – à obtenir la surface plane idéale en évitant tout relief, toute matière, – à rendre mes plans infinis, c’est-à-dire à les pousser à envahir les murs, en supprimant ce qui avait été créé justement pour les séparer : cadres ou baguettes et présentation oblique, détachée du mur.

D’autre part, mes lignes me paraissaient assez conformes aux normes de mon manuel de géométrie : rectilignes, uniformes et (presque) infinies.

J’avais fermé les yeux sur l’épaisseur de mes tableaux et de mes lignes, sur mes all over infinis qui s’arrêtaient au bord de mes petits carrés, sur la contradiction entre mes problèmes de géométrie plane et leur présentation, leur intégration dans la géométrie dans l’espace des galeries ou musées, sur la fixation au mur de mes tableaux-plans-idéaux par tringles, clous et ficelles (que l’on voit ou l’on devine toujours).

Depuis quelques années, je les ouvre un peu ces yeux, et je m’aperçois qu’entre la géométrie et moi il y a beaucoup de choses (la peinture, le tableau, le mur, etc.) que je ne veux plus ignorer.

J’ai donc décidé (il y a cinq ou six ans) de ne plus tricher, de ne plus chercher à cacher les contraintes inévitables.

Alors je me suis remis à mes « à peu près géométriques » (toujours classe de cinquième) en prenant comme principe non pas de cacher les contraintes mais plutôt d’en faire le principal sujet du tableau.

Ainsi, je pourrais donner comme titre général à mes derniers travaux : Contraintes de la peinture géométrique et géométrie des contraintes.

Je doute que ces œuvres puissent plaire aux amateurs (sérieux) de géométrie ou de peinture, mais j’espère bien qu’elles plairont aux amateurs (pas sérieux) de contraintes.

Publié dans Média/81 (cat. d’exp.), Neuchâtel, Galerie Média, 14 mars 1981-10 janvier 1982, n. p.

The Geometry of Constraints (1981)

For twenty years, I believed that my paintings were planes and that my lines were straight. Ideal straight lines and planes, such as were described to me by my seventh-grade geometry textbook.

At the time, with commendable good faith, I sought in my paintings: to obtain the ideal planar surface by avoiding all relief and all material; to make my planes infinite, which is to say to push them to overrun the walls by removing that which had been created precisely for the purpose of separating them: frames or moldings and slanted presentations, detached from walls.

On the other hand, my lines seemed to me to conform more or less to the standards of my geometry textbook: rectilinear, uniform, and (almost) infinite.

I had closed my eyes to the thickness of my paintings and of my lines; to my infinite all-over paintings that stopped at the edge of my little squares; to the contradiction between my planar geometry problems and their presentation, their integration into the spatial geometry of museums or galleries; to the way my ideal-plane-paintings were affixed to the wall with rods, nails, and string (which can always be seen, or at least intuited).

For some years now, I have opened those eyes somewhat and found that between geometry and myself there are a number of things (the paint, the support, the wall, etc.) that I no longer wish to ignore.

I therefore decided, five or six years ago, to stop cheating, to stop trying to hide these inevitable constraints.

So I returned to my “geometric approximations” (still in the seventh-grade sense), taking as a principle that I would not hide the constraints, but rather make them the principal subject of the work.

Thus I may give my most recent works a general title: Constraints of Geometric Painting and Geometry of Constraints.

I doubt these works will be pleasing to (serious) lovers of geometry or painting, but I hope they will be pleasing to (unserious) lovers of constraints.

Translated by Daniel Levin Becker. © Dia Art Foundation. English translation originally published in Béatrice Gross with Stephen Hoban, eds., François Morellet (New York: Dia Art Foundation, 2019), p. 204. Originally published as “La géométrie des contraintes,” in Média/81 (Neuchâtel, Switzerland: Galerie Média, 1982), n.p.